
Docteur
Jean-Loup Mouysset
Oncologue
& Fondateur des centres Ressource (13)
Jean-Loup, peux-tu me dire qui tu es ?
Je suis oncologue, je soigne les patients touchés par le cancer depuis 25 ans avec les traitements médicaux. Le problème des traitements est qu’ils permettent uniquement de survivre mais ce que veulent les gens c’est vivre. Mon rôle est de les aider, de les accompagner car ils traversent une épreuve existentielle très forte. J’ai longtemps cherché, et j’ai trouvé la solution lors de ma rencontre avec David Spiegel (Retrouvez l'interview avec David Spiegel en cliquant sur ce lien) . Je me suis alors intéressé à l’accompagnement. L'accompagnement thérapeutique d'une part et l'accompagnement de vie, d'autre part. Comment aider à devenir acteur de la santé, comment aider à devenir plus fort ? J’ai depuis mis au point un programme qui dure un an : gestion du stress, sport, alimentation... Inviter les malades à se poser certaines questions : qu’est-ce qui favorise la maladie, qu’est-ce qui l’en protège ? Qu’est-ce qui aiderait à optimiser le traitement ? Comment les soins complémentaires peuvent-ils aider à mieux supporter le traitement, à le rendre plus efficace, voire à éviter les récidives ? Il faut permettre au patient d’y avoir accès et l’aider à devenir autonome. L’objectif est que le patient devienne le maître-d’œuvre des travaux d'une maison. Sa santé est sa maison, c’est lui qui y vit… C’est à lui de décider. Il n'est ni l’architecte, ni le maçon. Eux doivent être à son service et répondre vraiment à sa demande. Le patient, lui, n’a pas la technique mais il a besoin d’en connaître un minimum pour pouvoir juger et faire des choix.
Que vis-tu intérieurement lorsque tu annonces un diagnostic difficile qui pourrait briser la vie d’une personne ?
Je ne brise pas la vie d’une personne. J’annonce un diagnostic. Un diagnostic difficile parfois, mais quand on annonce quelque chose de dur et que l’on propose une solution, c’est très très différent. J’aime dire les choses telles qu’elles sont. La vérité de ce qui va arriver, personne ne la connait, alors je vais tracer un chemin de ce que l’on souhaite, "la médecine en accord avec le patient". Si le diagnostic est grave, quel chemin emprunte-t-on pour aller dans la direction que l’on souhaite ? Quels sont les moyens que l’on se donne ? Quels sont les risques ? Plusieurs choix s’offrent à nous. A nous, ensemble de choisir la meilleure solution pour la personne malade. Le choix de la vérité et de la transparence est important. Si je mens, j’atténue la réalité, cela signifie que j’ai peur de ce qu’il va arriver. Alors que si je présente les choses telles qu’elles sont et que je propose un traitement cela signifie que je suis en train d'annoncer que c’est possible. Annoncer que c'est possible est essentiel car cela offre de l’espoir. C’est démontré ! Une étude l’a montré dans le cas de malades qui avaient un mélanome malin métastatique. Le simple fait qu’ils considèrent que le traitement allaient les amener loin leur permettaient une meilleure survie à 5 ans. Le positionnement de départ est ESSENTIEL.
Tu as créé les centres Ressource en France, aujourd’hui il y en a 5. Le concept est basé sur
les études que tu as menées avec les équipes de l'Université de Médecine de Stanford (US)
où tu as étudié. Quels sont les bénéfices scientifiques de ce parcours de soin sur la vie avec le cancer ?
Je suis allé étudier à Stanford car David Spiegel, Associate Chair of Psychiatry & Behavioral Sciences, y avait fait un travail fantastique sur des patientes qui avaient un cancer du sein métastatique et à qui l'on promettait une survie qui ne devait pas dépasser 18 mois. C’était les chiffres, il y a 30 ans. Or, le fait qu’elles participent à des groupes de paroles a modifié leurs vies.
Dans les groupes de paroles, elles apprenaient à partager leurs émotions, à affronter la maladie, à définir leur projet de vie. Elles y apprenaient également l’auto hypnose. Le résultat est que les patientes qui ont participé au programme ont vécu deux fois plus longtemps que celles qui n'y avaient pas participé. C'était en 1989. Plus tard, dans l’Ohio, Barbara Andersen a comparé des femmes qui avaient eu un cancer du sein et qui en plus d'avoir été opérées ou d'avoir suivi une chimio ou une radiothérapie, avaient suivi un programme d’accompagnement thérapeutique. La différence de guérison est remarquable : 11 ans après le démarrage de l'étude, il y a 50% de récidives en moins, 68% de décès en moins. Ce sont des chiffres qui montrent que le simple fait de changer son mode de vie de façon profonde selon les axes que j’ai donnés : alimentation, gestion du stress, sport, améliorer son réseau social, communication, modifier ses priorités de vie apporte un résultat sur la survie qui est exceptionnel. Si toutes les malades du cancer sein suivaient ce programme en France, on compterait 6.000 femmes sauvées chaque année en plus.
Jean-Loup, quels sont les conseils que tu aimerais donner aux personnes malades qui nous lisent ?
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Occupez vous de toutes les dimensions de vous-mêmes, comme un sportif de haut niveau :
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Trouvez une bonne équipe pour vous soutenir
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Trouvez un coach mentor pour la gestion du stress
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Prenez soin de votre corps
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Prenez du temps pour bien manger
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Pratiquez 15 minutes de sport tous les jours
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Pratiquez 15 minutes de méditation par jour
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Envisagez de voir un psy pour travailler les choses qui ne vont pas chez vous
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Trouvez un accompagnant qui va faire les courses, qui vous accompagne aux rendez-vous médicaux et qui pourra vous répéter ce qui a été dit. Et aussi qui pourra faire rempart et posera des questions au médecin.
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Dernier point, j’aimerais rappeler deux ou trois choses concernant la relation au médecin :
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Rappelez-vous que le médecin est un être humain qui comme vous a des soucis
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Qu'être médecin est un métier difficile avec beaucoup d’humain
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Ne pas tout attendre du médecin qui est un allié dans le projet de guérison
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Préparez les rendez-vous :
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Listez les questions en amont du rendez-vous
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Ramenez le dossier complet : Prises de sang, Scanner, Pet Scan…
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En échange le médecin se doit d’écouter le projet du patient.
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Guérir, vivre ou un projet à plus court terme ?
J'ai en mémoire le projet d’une patiente qui voulait juste conserver ses cheveux.
Les traitements qui lui ont été proposés ont tenu compte de ce projet, jusqu’à ce que cela ne soit plus possible. Et la patiente a vécu jusqu’à ce qu’elle ait perdu ses cheveux.
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Un mot pour conclure :
"On n’a pas dix ans devant nous. Il faut aller vite, très vite".
Ps : n’hésitez pas à dire Merci au médecin et à lui dire que vous avez besoin de lui...
Pour en savoir plus sur David Spiegel, cliquez sur ce lien.