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David
Spiegel

 Professeur en Psychiatrie
à l'université de médecine Stanford USA

Professeur, comment êtes-vous devenu professeur en Psychiatrie ? Pourquoi êtes-vous si investi dans les recherches en Psycho-oncologie ?

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Je suis professeur de psychiatrie à l’école de médecine de l’université de Stanford. Je suis dans cette faculté depuis 1975. Au cours de ma première formation j’ai appris la philosophie existentielle : Kirkegaard, Sartre, Heidegger... L’idée qu’ils mettaient en avant « tu ne vis pas vraiment authentiquement jusqu’à ce que tu affrontes la possibilité de ne plus être », a guidé ma vie.  â€‹

 

J’ai fait des études de médecine, spécialité Psychiatrie mais je n’avais pas vraiment le choix, mes deux parents étaient psychiatres. À mon arrivée à Stanford, en 1976, j’ai été invité à co-animer un groupe de parole dirigé par Irvin.D Yalom, qui est une autorité mondiale dans le domaine des thérapies de groupe.

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Irvin m’a expliqué qu’il écrivait un livre sur les thérapies existentielles et m'a demandé de l'aider. Les recherches préalables au livre portaient sur le thème des « groupes de paroles qui soignaient la dépression ». Irvin m’a alors suggéré que les groupes de paroles pouvaient être un moyen d’aider les personnes qui affrontent la finitude, pour vivre plus authentiquement, changer leurs priorités dans la vie.

 

« Si vous vous connectez aux autres qui vont vous aider à affronter ce que vous devez affronter, vous vivrez mieux la maladie » était l’enjeu de l’étude. Quels furent les premiers résultats ?

 

La première chose à laquelle on pense quand on apprend un cancer est que l’on va mourir. Cela a toujours été ainsi. Avec Irvin, nous voulions analyser les effets des groupes de paroles sur la qualité et la durée de vie de femmes atteintes de cancers du sein métastatiques dont l’espérance de vie était estimée à 24 mois. Elles seraient réunies une fois par semaine avec un professionnel. Nous voulions essayer malgré les alertes de nombreux scientifiques qui pensaient que nous démoraliserions les patientes, "ce serait trop dur pour elles de voir les autres mourir", nous disaient-ils. Pour mémoire, à cette époque-là, les études psychologiques affirmaient qu’"être angoissé, triste ou effrayé par le cancer, c’était céder à la maladie. C’était la laisser nous emporter".

 

Le résultat immédiat fût que grâce aux séances, les femmes se sentaient mieux. Elles étaient moins angoissées, moins déprimées. Elles acceptaient davantage leurs émotions et ressentaient moitié moins les effets secondaires des médicaments. « Il est différent de s’inquiéter de sa propre mort à 2 heures du matin quand on est seul, plutôt qu’à 14 heures lorsque l'on est avec d’autres femmes qui traversent les mêmes questionnements. » 14 ans après son démarrage, cette étude a prouvé que les groupes de soutien pour les patientes, permettaient non seulement de vivre mieux mais aussi et surtout de vivre plus longtemps. En analysant les certificats de décès des participantes, il résultait que :

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  • 83 sur les 86 femmes étaient décédées. Les femmes qui avaient fait partie de l’étude, avaient vécu en moyenne 18 mois de plus que les autres. Les résultats ont été publiés en 1989, ils ont depuis été cités plus de 3.000 fois dans différentes revues scientifiques. Les facteurs émotionnels furent désormais essentiels dans le traitement du cancer.

 

Vous avez ensuite voulu étudier les effets physiologiques des groupes de soutien,

de verbaliser ses problèmes et exprimer ses émotions ?

 

J’ai voulu étudier comment le corps bénéficiait physiologiquement du soutien émotionnel, notamment sur :

 

  • Le cortisol, l'hormone de stress qui élève le taux de glucose dans le sang. La courbe d’évolution du cortisol bouge énormément dans la journée, elle est au top quand on se réveille et descend au cours de la journée… Certains patients du cancer ont des courbes plates tout au long de la journée, d’autres ont des courbes normales. Nous concluons que la dérégulation des hormones de stress a des effets sur la progression de la maladie. Le système immunitaire profite d’un mieux être émotionnel, il est très impliqué dans la protection du corps contre le cancer. Les émotions, la pression sanguine, ont un effet sur le système immunitaire et donc sur la maladie.

  • Les insomnies sont un vrai problème dans le traitement de la maladie. Les malades du cancer du sein qui ne dorment pas suffisamment survivent moins longtemps que celles qui dorment normalement.

 

Ainsi, de nombreux enjeux psychologiques, psychiatriques et physiques ont un effet sur le cancer.

 

Que conseillez-vous aux patientes alors ?

 

Je recommande aux patients du cancer de faire ce que leur grand-mère leur disait de faire : "mange bien, dors bien, et fais de l’exercice". On a besoin d’entraînement sportif pour vivre notre vie.  Les femmes qui ont un cancer du sein ont plus de chances de mourir d’une crise cardiaque que du cancer lui-même, alors faites du sport. Prendre soin de son corps, affronter et gérer

le stress vous aidera à mieux vivre, mais aussi à vivre plus longtemps.

 

En plus des groupes de soutien, quelles sont les autres études que vous aimeriez partager ? 

 

Nous enseignons l’auto hypnose aux malades. C’est formidable que votre fils et vous-même ayez fait de l’hypnose. Si vous parvenez à gérer vos émotions liées à la maladie de votre fils, cela vous aide à le soutenir et l’autorise à partager ses propres émotions. Dans de trop nombreux cas de maladie, les gens se renferment sur eux-mêmes. Dans une même famille chacun vivra les émotions de son côté, chacun se réfugiera dans son propre désespoir. Personne ne veut attrister l’autre en parlant. De nombreux malades culpabilisent d’être malades et d’être responsables de leur maladie. Paradoxalement, plus concernées et plus aimantes sont les familles, plus les malades ont le sentiment de détruire cette harmonie. Ils se sentent mal de rompre l’équilibre de la famille.

 

L’auto-hypnose permet de dissocier le ressenti psychologique de la douleur physique de la maladie. Par exemple, si vous pensez à quelque chose qui vous déprime, votre corps va se raidir, se tendre … En hypnose, vous apprendrez à vivre l’expérience psychologique qui vous déprime sans que votre corps ne se raidisse.

 

Avec le cancer on a le sentiment de perdre le contrôle de tout. Non seulement une partie du corps est en train de vous abandonner, mais aussi, on a le sentiment d’avoir un ennemi, un terroriste à l’intérieur qui « hacke » le corps. L’hypnose permet de garder un peu le contrôle sur la douleur et la maladie.

 

Quels sont les résultats scientifiques que vous pourriez partager avec nous ?

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On a maintenant analysé plus de 14 groupes de paroles dans des conditions similaires : Plusieurs femmes réunies pendant 1h30, une fois par semaine pendant un an, avec un encadrement professionnel :

 

  • Réduction de l’anxiété et de la dépression : 50%

  • Réduction de la douleur : 50%

  • Durée de vie : + 18 mois

 

Je pense aussi à une étude intéressante qui porte sur 718.000 malades du cancer pendant 5 ans aux US. L’étude contenait une seule question : Quel est le résultat le plus positif du fait d’être marié quand on est malade, sur la survie du cancer ? Le résultat est 4 mois. Les malades du cancer mariés vivent statistiquement 4 mois de plus que les autres. L’étude souligne aussi et surtout que le fait d’être marié a autant d’effet que la chimiothérapie sur la durée de vie des malades. Les traitements du cancer commencent à être meilleurs, notamment grâce à l’immunothérapie. Mais l’effet global de la chimiothérapie est modeste. Cela met en perspective la valeur du soutien social, du soutien émotionnel.

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Quelles recommandations donneriez-vous aux médecins français dans le traitement

du cancer ?

 

Recommandez les soins de supports, les médecines complémentaires, les groupes de soutien à vos patients car ils soutiennent le traitement médical que vous prescrivez, sans lui nuire.

 

L’ironie actuelle est que plus on guérit les cancers, plus on crée une population de malades chroniques. Cela signifie que tous les traitements médicaux fonctionnent mieux. Mais la population qui vit plus longtemps, vit aussi avec la menace permanente de récidive, avec des effets secondaires aux traitements ressentis sur de longues périodes. Ils subissent les effets de la maladie et de ses traitements. J’aimerais donc dire aux médecins français que l’approche intégrative est très appropriée en permettant aux malades de vivre le mieux possible, le plus longtemps possible avec le cancer. Les soins complémentaires n’interfèrent pas avec les soins médicaux. Au contraire, ils les aident.

 

Dernière question, quels conseils donneriez-vous aux malades et aux familles ?

 

J’utilise une expression en anglais que j’aimerais partager : F.A.C.E.S

 

F for Face it : Affronte plutôt que fuir le stress de la maladie. Ne le fuie pas, car il te poursuivra. Si tu l’affrontes, tu redeviens acteur. Les personnes qui affrontent leur fin de vie peuvent envisager ce qu’elles veulent faire des précieux moments qui restent. Cela permet à votre famille de vous aider à gérer votre fin de vie. Donc affronter plutôt que fuir !


A for Alter the perception of what’s happening : "Visualise différemment ce qui t’arrive", envisage la maladie comme une pause plus que comme la fin de ta vie. C’est l’occasion d’un changement dans ta vie. Comme en hypnose : sous hypnose tu es la même personne mais tu ressens la douleur différemment dans ton corps. Tu vis la situation mais tu peux changer ta perception

de cette situation.


C for Cope actively : Ne laisse pas la situation te submerger, sois acteur de la situation, sois acteur de la maladie, sois acteur de ta santé.


E for Expressing emotions : N’essaie pas d’occulter tes craintes et ton anxiété car elles te poursuivront. Sois honnête avec toi-même, et exprime tes émotions. Sois un humain. Et si tu partages avec les autres, tu allègeras ta douleur et les autres partageront également la leur.


S for Social support : Nous sommes humains, nous avons besoin de lien social, d’être connecté aux autres. Personne n’y arrive seul, et souvent les patients du cancer se sentent isolés des autres. Les gens normaux ont peur du cancer mais on a tous une maladie fatale qui s’appelle la vie. Se connecter aux autres, vivre en authenticité, partager le stress enrichit la vie au lieu

de la fragiliser. C’est la clé !

 

Je n’ai pas parlé de spiritualité, « de mindfulness », mais autorisez les émotions à passer dans le corps. Au Canada, il y a des études qui prouvent que la spiritualité interfère avec le rallongement des télomères. C’est donc bon pour votre esprit autant que pour votre corps. L’acupuncture aussi est excellente pour contrôler la douleur, sans devenir dépendant aux opiacés.

 

Un mot pour conclure ?

 

Le cancer est une longue coupure dans la vie. Cela peut aussi être un point de rupture, un changement, un nouveau départ. L’enjeu est de mettre le cancer en perspective de ce que l’on veut vivre. Les évènements sont alors mieux vécus et la personne est mieux.

Brigitte Parnaudeau, Responsable des relations avec les associations chez Bristol-Myers Squibb
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