
Docteur
Peggy Fournier
Gastroentérologue
& Oncologue libérale - Lille (59)
Peggy, qui êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous devenue oncologue ?
C’est une histoire familiale : la médecine a toujours été présente dans ma vie, j’ai des parents médecins, des grands-parents médecins, des arrière-grands-parents médecins… J’ai toujours vécu dans cet esprit « du bien-être de l’autre et du bien-être apporté par le bien-être de l’autre ». Le fait de se rendre utile de cette façon apporte un bien-être à celui qu’on soigne et à soi-même. Une relation d’équilibre s’installe entre le patient et le médecin. C’est là que je trouve le plus de sens à ma vie. J’ai eu ma période de rébellion comme beaucoup d’enfants mais finalement, en cochant les cases, c’était le seul métier qui correspondait à la façon dont je vois ma vie et mon équilibre. Je suis gastro-entérologue avec un diplôme complémentaire en oncologie. J’ai voulu faire de la gastro-entérologie dès ma première année de médecine suite à un stage qui m’avait beaucoup plu. Ensuite, c’est la cancérologie dans la gastro-entérologie qui m’a le plus intéressée, notamment pour le relationnel qu’on a avec les gens dans leurs situations difficiles. Le côté « maladie chronique » : on ne vient pas juste régler un problème et on s’en va, une relation beaucoup plus prenante sur le long terme s’installe.
Que ressentez-vous lorsque vous devez annoncer un diagnostic de cancer ?
Personnellement, je le vis toujours difficilement... Comme je suis gastroentérologue, la plupart du temps l’annonce est progressive. Souvent, j’ai déjà fait le diagnostic lors d’une coloscopie. S’il y a quelque chose d’anormal, le processus est déjà en route. Cette première étape me facilite l’annonce car il y a un point de départ à l’histoire (par rapport à quelqu’un que je prends en charge après l’annonce). J’ai alors le temps de préparer le terrain pour la suite de la consultation d’annonce.
Aussi, j’ai la chance d’être en libéral, de choisir mon organisation, je peux donc décider de voir le patient à 7h du matin et pas au milieu de mes consultations à 10h. Je choisis le temps que je vais consacrer à l’entretien. Je peux aussi me préparer psychologiquement les quelques minutes avant le rendez-vous.
Le moment de l’annonce est toujours difficile. Je m’impose plusieurs choses pour qu’une relation de confiance s’installe : se regarder droit dans les yeux, être au même niveau, prononcer les mots «cancer» et «métastases», s’il y en a. Pour que le contrat soit clair au départ, il faut que le patient ait entendu les mots-clés. Même si je sais qu’à partir de ce moment-là, la consultation sera différente parce que la personne en face ferme les oreilles. Je ne donne jamais de statistiques car c’est complètement théorique ; les patients ne sont pas des statistiques.
Souvent, il y a cette première consultation où les mots sont prononcés puis, je revois vite la personne pour une seconde consultation : il y a un bilan à faire, un scanner à prévoir, la pose du PAC, etc. Cette deuxième consultation est aussi une consultation d’annonce où l’on va reprendre avec le patient ce qu’il a entendu et compris. Nous allons alors construire les choses ensemble, nous allons avancer dans notre histoire thérapeutique, de traitement.
A titre personnel, au moment même de l’annonce du diagnostic, je ferme ma blouse car je n’aime pas trop montrer mes émotions. On est là pour avancer, pour y croire, il ne faut pas qu’il y ait trop d’affect de ma part. Je dois pouvoir leur dire « vous pouvez pleurer, allez-y si vous avez besoin pleurer », mais je ne peux pas pleurer avec eux. Même s’il m’est déjà arrivé de fermer la porte puis de pleurer une fois le patient sorti du cabinet…
Quels sont vos échappatoires pour supporter les moments difficiles comme ceux-là ?
Je trouve mon équilibre dans la vie à côté de mon travail. À la maison on ne parle jamais médecine. On ne peut pas annoncer des choses comme ça et avoir une vie difficile à côté. Ça met la pression à la famille : ils ont intérêt à tenir la route ! Et c’est le relationnel, le regard du patient quand il part et ferme la porte. Est-ce qu’il a confiance, est-ce qu’il a envie d’avancer ? Est-ce que je lui ai donné de l’espoir… ? Même si la situation est catastrophique, est-ce qu’il a envie d’y croire… ? Ce regard des personnes qui entrent terrorisées par la nouvelle qu’ils vont apprendre, quelles têtes auront-ils en ressortant…
Quels conseils donnez-vous aux personnes qui viennent de recevoir le mauvais diagnostic ?
En général, nous prévoyons de nous revoir très peu de temps après. Lorsqu’on est dans le creux de la vague, le fait de proposer un plan rassure le malade d’être dans l’action. C’est une action imposée par la maladie... Je pense que c’est important de pouvoir se poser, se laisser guider dans cette phase-là. Et après, avec le temps on remonte la pente, on refait le point sur les objectifs de traitement, sur le déroulement. Je pense que le patient reprend les choses en main à ce moment-là. C’est délicat pour les patients qui viennent seuls. Je me demande toujours qui ils vont voir en sortant du cabinet, que vont-ils faire de leur journée… ?
Un message absolument clé et essentiel : « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ». Même si ça peut paraître con, c’est vrai !
Au quotidien je conseille vivement l’activité physique. Je précise toujours qu’il y a plein de petites choses à faire pour se sentir mieux, notamment tout ce qui est méditation, yoga, etc. Il n’y a pas de petits moyens pour aller mieux ! La chose pas très cartésienne que j’apprécie particulièrement est la méditation et l’admiration de la nature. Se poser dans son jardin et regarder ses fleurs. Prendre conscience de son environnement, admirer le ciel. Ça parait idiot mais ça diminue clairement le stress ! Les traitements sont alors mieux vécus et la personne est mieux.
Le patient ne vit pas sa maladie, il vit sa vie. C’est super important qu’il y ait un équilibre pour que la place que prend le médecin et sa chimio ne soient pas les seules choses qui rythment la vie quotidienne du malade.
Vous conseilleriez donc à une personne malade de continuer à vivre sa vie normalement ?
Les patients ne peuvent pas continuer à vivre leur vie « normalement » mais ils peuvent l’adapter pour continuer à faire tout ce qu’ils ont envie de faire. Des patients me disent « on ne part pas en vacances car j’ai ma chimio », alors je leur réponds que « ce n’est pas plus compliqué de trouver une infirmière là-bas qu’ici ». Alors oui, on continue de vivre sa vie, qui est forcément rythmée par autre chose.
Auriez-vous un dernier conseil à donner à la personne malade et à son accompagnant ? Quelque chose que vous n’avez pas toujours le temps de dire en consultation ?
Surtout accepter l’aide et ne pas hésiter à la demander. Que ce soit l’aide du corps médical et surtout celle de la tribu. Beaucoup de gens vivent leurs ressentis seuls et n’osent pas demander d’aide. Dès lors, leur moral est bien moins bon et ils supportent moins bien les traitements.