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Marie Fugain
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Marie Fugain
Sœur

Comédienne, animatrice, auteure et traductrice (78)

Maman de deux enfants,
Marie est la sœur de Laurette Fugain, décédée à 22 ans d’une leucémie foudroyante.
Auteure de "Moi, on ne m’a jamais demandé comment j’allais…"

Comment as-tu appris que Laurette était malade ?

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Laurette était partie faire une prise de sang avec Maman car elle avait toujours soif. Après avoir reçu les résultats, le médecin de famille a appelé le labo, pour lui dire qu’ils étaient faux. Le labo a confirmé qu’ils étaient justes. Maman n’a rien dit à Laurette et l’a emmenée faire un myélogramme. Elle m’a ensuite appelée pour me dire qu’il s’agissait bien d’une leucémie. Je rentrais du tournage de Navarro, j’habitais Boulogne, je me suis effondrée. Je suis tombée, comme une merde. Ma chienne est venue et a mis tout son poids sur moi. Elle essayait de calmer cette douleur. Laurette et mois adorions le film "L’arbre de Noel" avec Bourvil, dans lequel un petit garçon avait une leucémie. Et à la fin du film, le petit garçon meurt. Je savais que dans la tête de Laurette l’annonce de la leucémie raisonnerait par la mort, comme dans le film. J’ai foncé vers Saint-Louis, après être allée chez une amie et lui avoir demandé comment, pourquoi, quoi faire ? Elle n’avait pas de réponse. J’ai retrouvé Maman et Laurette. Laurette était sur son lit et pleurait doucement. Le médecin à qui elle venait de demander ce qu’elle avait, lui avait répondu : « Bah enfin, vous avez une leucémie ». Elle a alors hurlé, pleuré, fait une crise avec Maman. Je l’ai prise dans mes bras, il n’y avait rien à dire. Au fond de nous trois, on savait qu’il n’y avait pas de mots pour rassurer, pour apaiser. 

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Comment se sont passés les mois suivants ? 

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Le combat et la chimio ont démarré tout de suite. Nous étions tous ensemble. Nous avons rasé Laurette. Laurette se battait, mais il y a des moments où elle ne voulait plus se battre. On essayait d’être forts ensemble. Papa ne pouvait pas être là car il était en tournée et devait chanter « la fête ».

Et il ne pouvait pas chanter la fête s’il était là tous les jours. Néanmoins, fin 2001, Laurette était au cinquième étage en hématologie et mon père au troisième étage car il avait fait une pelade après sa tournée. De mon côté, je tournais Navarro et ironie du sort, la façade du commissariat de la série était l’entrée de l’hôpital Saint-Louis. C’était terrible. Je tournais la journée, quand je levais la tête, je voyais la chambre de Laurette. L’hôpital était à la fois mon lieu de travail et mon lieu de vie le soir, avec Laurette. Toutes les équipes de l’hôpital étaient extraordinaires, humaines, disponibles, elles ont fait partie de notre famille pendant dix mois. Laurette est vite devenue très mature, il paraît que la sagesse s’empare du malade. Laurette nous a tous protégé, mais elle voulait partir, son corps n’en pouvait plus. Elle était fatiguée. "Life is a bitch", je n’en veux pas à Laurette. Je ne connaîtrai jamais mes petits neveux,

je ne la verrai jamais dans sa robe de mariée.  


Et intérieurement que vivais-tu ? 

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Nous habitions ensemble rue de la félicité et on s’adorait. Nous étions les confidentes l’une de l’autre. Toutes nos conversations se terminaient par « je t’aime ». Nous n’avons jamais eu besoin de réparer quelque chose. Je suis ravie qu’on ait été élevées dans l’amour car je n’aurais pas supporté de la regarder partir sans lui dire que je l’aimais. Et je n’aurais jamais pu me remettre de sa mort. Laurette ne s’est jamais bien sentie dans sa génération, elle avait l’impression d’appartenir à un autre temps. Comme si l’univers s’était planté d’envoi, quand on pense Karma... Il y avait un mal être, un mal de vivre en elle. 

 

Je ne me suis jamais permise de ressentir la culpabilité de l’aînée. « Est-ce que cela aurait dû être moi à sa place ? » Non bien sûr, mais cela n’aurait pas dû être elle non plus. J’ai très mal vécu la maladie car nous sommes une famille connue, que les journaux et la France entière se sont appropriés notre douleur, et personne ne me demandait comment j’allais. Je ne supportais plus les phrases toute faites, ni le mot « condoléances ». Les choses ont mis du temps à s’apaiser. J’ai mis 9 ans à pouvoir écrire le livre. 


Laurette est partie depuis 15 ans maintenant, qu’est-ce que sa maladie et son départ ont changé en toi ?

 

Il n’y a pas de mot pour qualifier la mort d’un enfant ou d’une sœur, et on n’en a toujours pas inventé.

Le plus dur à vivre est l’absence charnelle. Le manque de sa peau, ne pas la prendre dans mes bras, ne pas entendre son rire. Même si je l’ai enregistré, j’ai aussi gardé son message de répondeur. Avant, j’étais dans le feu de l’action. J’avais 20, 25, 29 ans et je bouffais la vie comme je devais le faire. Et en une fraction de seconde tout est parti. Après la mort de Laurette, je n’avais plus un plan de carrière mais un plan de vie. J’ai commencé mon métier à six ans et la mort a remis les pendules à l’heure.

Je ne me reconnais pas toujours dans la société dans laquelle je vis, le monde va trop vite et pour moi l’instant présent est devenu essentiel. 


Ça a été tellement dur de la perdre que j’ai failli également perdre la petite fille qui était en moi. Avant j’aurais culpabilisé de me poser sur un canapé et lire tout un après-midi. A présent, je prends le temps de regarder un coucher de soleil, un lever de soleil, la forme d’un nuage. Je vois la magie dans la beauté de la nature, d’un morceau de musique classique ou autre. Dans ma survie, c’est essentiel. 


Quel message retenir de tout cela ?

 

J’ai compris ma mission quand j’ai écrit le livre, une intuition m’avait poussé à l’écrire pour aider les accompagnants dont la douleur était invisible. En racontant juste une histoire, en me délestant de ma douleur, je tendais la main à plein de gens sans le savoir. La maladie de Laurette a du sens et tout ce qui a été fait depuis sa mort a du sens. La mission de Maman était de créer l’association Laurette Fugain, d’aider les malades et la recherche. La mienne de parler aux accompagnants, aux frères,

aux sœurs…


Quels conseils donnerais-tu à des accompagnants ?

 

Ne jamais oublier sa propre douleur, il y a un temps pour la personne malade et un temps pour soi.

Ça fait mal et ce n’est pas parce que quelqu’un a un cancer que notre migraine ne fait pas mal. On a le droit de s’écouter dans ces moments là pour ne pas tomber malade et rester utile. Le malade sait quand on fait semblant d’aller bien. Il faut être le plus naturel possible. L’énergie que l’on amène dans une chambre d’hôpital est décuplée pour le malade qui lui ne bouge pas.Ces énergies que l’on amène de l’extérieur sont essentielles pour lui. 
 
L’accompagnant doit lui-même se faire accompagner car c’est lourd et ça dure longtemps. Trouver quelqu’un qui écoute, à qui parler. Les accompagnants sont les oubliés de la douleur mais on n’a pas moins mal en périphérie. Il faut tenir le coup pour la vie quotidienne,

la maison, les enfants et la personne malade…

Clélia Rochat
Amie
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