top of page
Capture d’écran 2022-01-13 à 16.31.33.png

Florence
Hamon

Professeur en école d'infirmière
& ancienne infirmière en soins palliatifs

Florence, qui êtes-vous, comment êtes-vous devenue infirmière,

notamment en soins palliatifs ?

 

Je n’ai pas choisi d’être infirmière. Alors que je ne faisais rien à la fac ma mère m’a inscrite à l’école d’infirmière. Comme j’avais beaucoup de mal à parler avec les malades, je me suis orientée vers les soins techniques : les urgences, la traumato... Progressivement, surtout aux urgences, j’ai vécu la souffrance… J’ai reçu la souffrance des patients et des familles en pleine poire. Progressivement, par le biais du libéral, par le biais d’une réflexion en faisant l’école des cadres, j’ai commencé à chercher du sens aux soins que je prodiguais. A l’époque, la seule spécialité - puisque c’est une spécialité à part entière - c’était les soins palliatifs. Dans les services de soins palliatifs, tout le monde travaillait ensemble, les médecins, les infirmières… Et je trouvais enfin du sens aux soins infirmiers.

​

Comment « ce sens » se traduisait-il dans votre quotidien ?

​

La fonction d’infirmière, c’est « être avec l’autre ». Quand on est avec un patient dans une situation extrême, pas seulement celle de la mort annoncée mais dans la maladie grave. Le patient vit quelque chose que l’on n'a jamais vécu puisque l’on parle de quelque chose que l’on ne connait pas : la mort potentielle. J'avais besoin de me sentir utile dans ce moment extrêmement mystérieux. Je devais me remettre en question : étais-je utile, avais-je prononcé les bonnes paroles ? C’est une spécialité dans laquelle je recevais un immense retour des patients. J’étais impressionnée par leur courage, leur créativité, leur capacité d’affronter des choses qui me semblaient insurmontables. Chaque jour je me disais « finalement, les malades ne m’ont-ils pas donné plus aujourd’hui que je ne leur ai apporté ? ». Et je crois que c’est à cet endroit là que trouvais du sens à mon métier.

 

Beaucoup de personnes malades se plaignent des formulations brutales de certains médecins, radiologues, chirurgiens... Pouvez-vous m’expliquer comment ils fonctionnent ?

 

Je peux comprendre que vous puissiez ressentir un manque d’humanité ; je l’ai ressenti aussi en tant que jeune infirmière pendant des années. Il m’est arrivé de vivre des conflits extrêmement violents avec les médecins à la suite d’annonces. J’ai moi-même été confrontée à des situations qui bouleversent, qui désarment, qui font écho à des choses difficiles de notre vie. C’est parfois tellement violent, ça entraîne une telle souffrance qu’inconsciemment, nous, personnel soignant, nous mettons dans une posture de « fuite en avant ». Nous ne sommes pas dans le même temps psychique que le malade à qui l'on annonce le diagnostic, le pronostic, peut-être même l’échéance, parce qu’il y a des médecins qui vont jusque-là. Alors que le malade, lui, est encore complètement abasourdi par le mot « cancer ». Il m’a fallu des années pour comprendre que dans ce cas-là, inconsciemment, le médecin se protège de la dureté de l’annonce, parfois répétée dix fois dans la même journée. Donc oui, parfois c’est extrêmement brutal. Ceci dit, il y a aussi des médecins qui croient au fait que la brutalité va permettre de digérer la chose plus facilement.

 

En étant détesté du patient ?

 

Non, en assommant le malade. Ils pensent qu’il faut d’abord assommer et qu’ensuite le malade va se relever. C’est leur théorie.

 

Si le malade est assommé, il reste en colère, non ?

 

Je suis d’accord avec vous. Les médecins de l’ancienne génération ont parfois appris à annoncer brutalement. Mais cela ne s’apprend vraiment pas à l’université. Il y a des recommandations, des écrits mais dans la pratique, les étudiants apprennent à faire ce qu’ils voient. Il n’y a pas de cours là-dessus. Ça commence à bouger mais c’est récent.

 

Il y a aussi une notion de savoir-vivre : quand on rentre dans la chambre, dire bonjour, regarder dans les yeux, créer une relation avec le malade… ?

 

Oui, bien sûr. Mais il m’est arrivé, et Dieu sait si j’ai réfléchi au problème, d’entrer dans une chambre, de me précipiter vers le soin, de ne même pas oser regarder la personne. Cela s’appelle « esquiver ». Parce que la douleur est trop brutale, parce qu’on ne sait pas quoi dire, parce qu’on a l’impression que ce qu’on va dire sera plus terrible qu’autre chose, donc on se tait, ou alors on dit n’importe quoi. Il m’est arrivé de parler de la pluie et du beau temps, de banaliser la parole alors que je savais très bien que ce n’était pas ce que le malade attendait. Mais je ne pouvais pas. Je n’y arrivais pas.

 

Vous êtes humaine…

 

Je ne sais pas. En tout cas, c’est quelque chose sur lequel je travaille.

 

Vous êtes humaine avec vos fragilités aussi.

 

Bien sûr. Il m’est arrivé de dire au patient « ce que vous me dites est trop difficile. Là, je ne peux pas vous répondre, je reviendrais vous voir plus tard, il faut que je réfléchisse ». Les malades,

très curieusement, sont capables d’entendre ça.

 

Quand les patients se sentent considérés aussi ?

 

Oui, ils sont capables de tout entendre. Juste pour terminer, sans aller sur les soins palliatifs car je sais que vous êtes dans une autre optique mais, moi qui ai beaucoup travaillé sur les soins palliatifs, je vous rejoins sur le fait que l’annonce « mal faite » si je puis dire est là, incrustée dans l’histoire du patient. Parce que très souvent, à un stade très avancé de la maladie, les patients reparlaient de cette annonce malgré eux. C’est quelque chose qui reste dans la tête.

 

C’est le moment qui change la vie ?

 

Complètement. C’est le moment où tout bascule.

Siham Agnir
Infirmière en soins palliatifs
bottom of page