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Docteur
Alain de Waele

Oncologue & O.R.L (78)

Qui êtes-vous et comment en êtes-vous arrivé à ce que vous faites aujourd’hui ?

 

J’ai 65 ans, je suis père de 7 enfants. A l’âge de 10 ans, contre toute attente, en tout cas pour mes parents, j’ai décidé de devenir médecin. Il n’y avait aucun médecin dans la famille. Mon père aurait voulu que je sois ingénieur. C’était une idée fixe, une vocation peut être ? Si c’est une vocation, je ne peux pas l’expliquer de façon tangible… Les raisons se sont sans doute étayées avec le temps. J’avais le désir d’aider et de sauver les gens. C’est un métier de contacts très gratifiant et contrairement à ce que l’on croit, la relation est donnant/donnant. Les patients m’apportent beaucoup et je me régale.

 

Pourquoi êtes-vous devenu cancérologue ?

 

Sans doute par attrait pour la chirurgie cervicale qui est très précise, très noble, dans le sens où dans le cou passent des éléments très importants. J’avais un goût pour la performance chirurgicale. Mais très vite, c’est le contact avec les patients qui m'a plu. En effet, ce sont des personnes souvent déstructurées car elles ont une intempérance alcolo-tabagique. Des personnes en marge de la société et de leur famille qui se sont fait botter en touche pour des transformations de caractères liées à leur dépendance. Quand ils arrêtent de boire et que vous les avez opéré, ils sont différents, comme avant la dépendance. En O.R.L, la cancérologie est à 80% liée à une intempérance alcool/tabac qui concerne toutes les pathologies du larynx. Les cancers de la thyroïde, c’est différent, on en voit beaucoup depuis le nuage de Tchernobyl. Là encore, c’est un rapport avec des patients qui sont en extrême faiblesse, dans le désespoir de mourir. La relation avec le médecin qui s’étaye d’année en année est primordiale. Très chronophage, mais bon…

 

Comment annoncez-vous la mauvaise nouvelle au patient ?

 

Quand on a une mauvaise nouvelle à annoncer, on doit d’emblée se mettre dans la peau du patient : « Comment aimerait-on que l’on nous annonce cette mauvaise nouvelle ? ».Certainement pas comme un ancien ministre de la santé que je ne nommerai pas et qui disait : « Où là là, allez voir votre notaire, dans un mois vous ne serez plus là ». Je crois qu’il faut annoncer et donner une lueur d’espoir car le diagnostic qui laisse les gens dans une impasse est épouvantable. Ajouter la douleur morale à la douleur physique est insupportable. C’est un rendez-vous qui demande du temps. Très souvent, je passe de l’autre côté du bureau. Je casse la barrière et me mets à côté du patient, car il risque d’avoir un grand coup de blues. Il risque de pleurer, de se demander "pourquoi lui ?"et le fait d’être à côté de lui permet d’avoir un lien empathique, presque physique avec lui. Je leur dis aussi : « ok, je vous annonce une mauvaise nouvelle aujourd’hui mais on a perdu une bataille, on n’a pas perdu la guerre ». Dès lors, leur visage change.

 

Que ressentez-vous ?

 

À chaque fois, c’est très difficile car je me mets à la place des gens et c’est dur. Que se passerait-il si on m’annonçait cela un jour ? Chaque fois, je ressens quelque chose d’épouvantable. Mais je ne peux pas le montrer. Je cache mes sentiments, tout en étant très proche du patient comme tous les médecins devraient l’être.

 

Docteur, croyez-vous aux médecines complémentaires ?

 

Non seulement j’y crois mais je tiens à ouvrir une parenthèse, à savoir le côté obscurantiste de certains médecins vis-à-vis de ces médecines. On est tellement formatés pendant nos études de médecine pour nous conforter dans l’idée que seule l’allopathie résout les problèmes... J’ai des prises de becs monstrueuses, avec certains confrères. Je me rappelle d’une violente altercation dans un aéroport : on parlait de l’ostéopathie. Un ancien chef de clinique m’a carrément dit qu’il s’agissait de charlatanisme : « Comment se fait-il que toi, le chirurgien cartésien, puisse croire à ces bêtises ? » m'a-t-il dit.

 

Il existe de nombreuses médecines alternatives. C’est une erreur de penser que nous sommes les seuls à détenir la science dans la médecine allopathique. C’est faux. L’ostéopathie, l’homéopathie, la mésothérapie, la psychologie…Toutes ces médecines ont une place, qui est une place

complémentaire, extrêmement importante. L’hypnose est également importante. Il m’est arrivé d’opérer sous hypnose, ce qui évite de faire de l’anesthésie et cela fonctionne très bien. J’avoue que la première fois lorsque j’ai tenu le bistouri, je n’étais pas très serein mais les résultats sont épatants. En cancérologie, l’ostéopathie est également très utile. Je me rappelle d’une jeune femme que j’avais opérée de la parotide, sa peau était « cartonnée » suite à la radiothérapie. Elle avait tenté les massages et les crèmes mais rien n’avait marché. En une séance d’ostéopathie, le côté blindé de la peau s’était complètement amendé. Je m’en étais ouvert auprès de l’ostéopathe car je ne comprenais pas, dans mon esprit ce n’était pas possible. Pour lui c'était normal puisqu’il avait détendu les tissus, il avait une explication totalement cartésienne. C’est absolument génial. Il faut être humble en médecine. Quoique médecin, on ne détient pas la science infuse, ça ne marche pas toujours et nous nous devons de l’admettre. Je suis absolument désolé de voir qu’en France, on est très en retard. Il y a quelques décennies, je n’aurais peut-être pas tenu le même discours à l’égard des médecines alternatives, sans doute à cause des études de médecines très dogmatiques. Mais plus on avance en âge, plus on doit avoir l’intelligence de s’ouvrir aux médecines complémentaires, qui sont des médecines, qui ont fait leurs preuves. L’ostéopathie a sa place dans notre pharmacopée.

 

Aujourd’hui, on parle aussi beaucoup d’hypnose et de magnétisme ?

 

Parlons de magnétisme justement. J’ai travaillé avec ceux qu’on aime appeler des « rebouteux » mais il ne faut surtout pas le dire. C’était pour des douleurs post zona de patients et le magnétisme a très très bien marché. Nous, médecins, devons rester ouverts au monde et à la nouveauté.

 

Quels sont les conseils que vous donneriez à une personne qui vient d’apprendre qu’elle

a un cancer ?

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Ne jamais désespérer. Jamais. Quand on annonce aux américains qu’ils ont un cancer, au lieu de se lamenter comme nous les latins, ils vont dire : « bon ben Docteur, OK, vous venez de me dire que j’avais un cancer, dites-moi quand vous pouvez m’opérer, comment et quand vous allez me traiter ? » Ils sont dans l’action, c’est culturel. Je dis également à mes patients, qu’en France, les maladies cardiovasculaires, tuent davantage que le cancer. Cela permet de relativiser les choses. C’est intéressant pour les personnes qui sont abasourdies par le diagnostic, elles reprennent alors espoir. Ne jamais dire, qu’il n’y a aucun espoir. Même si le cancer est très avancé et compliqué…

 

Êtes-vous partisan de tout dire au malade ?

 

J’ai beaucoup évolué à ce sujet. Il y a 35 ans, quand je me suis installé, j’avais tendance à esquiver en disant « vous avez des cellules qui sont en train de déraper », la réaction des gens était « OK docteur, donc ce n’est pas un cancer ? ». Plus tard, j’ai été plus précis dans la terminologie, dans la phraséologie. Quand vous leur dites qu’ils ont des cellules cancéreuses, les gens ne veulent pas l’entendre. C’est intéressant car vous pouvez alors rebondir sur leur déni. Après leur avoir annoncé, ce que je fais maintenant, évidemment d’une façon très douce, j’abonde dans leur sens. Parfois, ils ne veulent pas l’entendre, ils ne sont pas prêts, je construis alors le discours sur le déni qu’ils veulent entendre, tout en ayant annoncé. Je m’adapte. Si je suis plus franc qu’avant, je ne dirai jamais que le stade est très avancé, je peux dire que le cas est sérieux, mais jamais je ne donnerai une échéance.

 

Donc si j’entends "sérieux", c’est que c’est très très très grave ?

 

Oui oui mais bon, entre sérieux et "c’est foutu", comme disait cet ancien ministre, il y a un monde qu’il ne faut pas franchir. C’est inacceptable de dire cela.

 

Quel conseil ajouteriez-vous ?

 

Surtout ne pas parler à tout le monde. Aux proches, à la famille oui mais ne surtout pas en parler aux personnes négatives. Si vous avez dans votre entourage des amis, des relations et même parfois de la famille qui, quand vous annoncez votre maladie, « oh la la mon pauvre t’as un cancer », « c’est dramatique »... Fuyez ! Ce n’est pas acceptable. Entourez-vous de personnes positives. Nous savons tous que la psychologie et l’état émotionnel sont une grande partie du traitement. Ce n’est pas une partie suffisante, mais cette partie est essentielle pour le patient et pour l’évolutivité de la maladie. Alors si vous avez le moral dans les chaussettes, la partie est perdue d’avance. Donc, fuyez les personnes négatives et c’est un conseil pour nous tous. On ne sait pas toujours le faire, mais en vieillissant on progresse.

 

J’aimerais ajouter que dans la cancérologie, le régime alimentaire est très important. On a vu exploser les cancers du côlon ces 25 dernières années, pour la seule raison que l’on mange maintenant de la viande midi et soir, ce que l’on ne faisait pas il y a cinquante ans. Nos parents

en mangeaient juste une fois par semaine, comme les œufs, et le poisson le vendredi. Le reste du temps, on mangeait des légumes et des fruits. Quand on lit les livres de David Servan Schreiber, qui a réussi à survivre 10 ans alors qu’il avait un cancer du cerveau diaboliquement évolué, je pense qu’il avait totalement raison, qu’il a totalement raison : notre hygiène de vie est essentielle. Il faut en avoir conscience, dans un monde où l’on veut surconsommer, d’ailleurs on assiste à l’explosion de l’obésité. Il y a encore des pays où il n’y a pas d’obésité. Si vous avez le malheur d’être obèse en Asie, on vous passe la main sur le ventre, du matin au soir, en signe de prospérité, car les obèses sont forcément des gens riches qui mangent beaucoup. En Europe et aux Etats-Unis, on constate une collection de maladies et une morbidité liée à la malbouffe. Celle dont parlait Jean-Pierre Coffe avec beaucoup de vigueur. Il jetait le pavé dans la mare mais il avait raison. Il en est de même pour les produits industriels, on mange de plus en plus mal. On a l’impression de bien manger, de belles pommes toutes rouges, briquées mais cirées, sans goût et bien plus nocives que celles du passé...

 

Voilà, et bien, il y a du travail. Conclue t-il !

Jean-Loup Mouysset Oncologue & Fondateur
des centres Ressource
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